La documentation juridique au Québec au début des années '80. Les résultats d'un sondage

AutoreEjan Mackaay
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Les années '70 ont été, au Québec, l'époque de grands changements dans la documentation juridique. Les instruments existants ont été améliorés et, à côté d'eux, on a vu l'expérimentation de nouveaux outils, dont quelquesuns se sont taillés une place définitive dans l'équipement professionnel du juriste. Que l'on se rappelle, à ce titre, la refonte permanente des lois rendue possible par l'informatique, les codifications administratives, la publication consolidée des règlements, consolidation que l'on espère permanente à l'avenir. La jurisprudence a connu son renouveau par un meilleur choix des textes publiés, par un accroissement du nombre de décisions et de juridictions publiées et par des index plus détaillés, L'Annuaire a fait peau neuve. Le Jurisprudence Express et le Répertoire notarial se sont montrés des instruments indispensables aux praticiens. Enfin, le Québec a été pendant cette période à l'avant garde de l'expérimentation des micromedia (Minibiblex) et de l'informatique appliquée à la documentation juridique: Modul/Deploi trouve son prolongement dans le service dit de «jurimétrie»1, chez l'Editeur officiel du Québec; Datum a donné lieu au service de consultation et au service dossiers de Soquij, L'informatisation de la documentation juridique atteindrait un nouveau plan si l'on réalisait un système unifié par lequel les juristes québécois auraient accès, par un terminal, à leur bureau, à la fois aux banques documentaires (législation, règlements, jurisprudence) et aux fichiers publics (plumitifs, registres des raisons sociales, des compagnies et des sociétés et de l'état civil).

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Ces innovations ne sont pas l'oeuvre d'un seul groupe. Au contraire, elles semblent résulter d'un effort concerté des éditeurs privés et public, des corporations professionnelles, des facultés de droit et de l'Etat. C'est dire que, au débet des années '70, tous étaient d'accord sur l'insuffisance des moyens documentaires du juriste et sur les conséquences funestes que cette situation ne pouvait manquer d'avoir pour les services rendus au public. La constitution de Soquij en tant que gardienne de la documentation juridique consacre ce consensus2.

Il s'agit maintenant, après 10 ans de révolution tranquille, de prendre du recul et de déterminer à nouveau les priorités. Car il est évident que l'informatique et les micromedia, qui ont déclenché le mouvement innovateur, n'en sont plus actuellement les principaux moteurs3. En essayant de sauter de la préhistoire à l'univers sans distance, les juristes ont découvert le mérite des étapes intermédiaires: l'amélioration des outils traditionnels et l'automatisation partielle de leur création. Sur quelles améliorations faut il miser maintenant, C'est en mesurant le succès relatif des innovations des années '70 et les préférences des juristes pour l'avenir qu'on répondra à cette question. C'était le but du sondage de 1979.

Le sondage portait sur un échantillon stratifié de 1.500 juristes québécois, dont 746 ont répondu4. Ce taux relativement faible de réponses, malgré les rappels insistants qu'a, fait le Centre de sondage de l'Université de Montréal, est sans doute attribuable à la longueur et la complexité du questionnaire. Il faut espérer que ce ne soient pas que les mordus de recherche qui aient répondu, car on aurait alors une image trop rosé du problème, documentaire du juriste québécois. Le questionnaire a été envoyé à la fin de l'année 1978 et au début de l'année 1979, Les discussions qui suivent relètent donc la perception des juristes à cette époque.

Dans ce qui suit, nous construirons d'abord, par l'analyse de deux articles de réflexion et des résultats des sondages Compulex et Boucher-Mackaay, une image des insuffisances au début de la décennie qui vient de se terminer. Elle nous servira de norme pour apprécier les changements qui ont en lieu depuis cette époque. Dans un deuxième temps, nous ferons un profil de la profession et de ses habitudes de recherche en général en 1979. Cette discussion devrait nous permettre de mieux connaître les diverses compo-Page 163santés de la clientèle de Soquij. Nous nous attacherons ensuite plus précisément aux produits que met sur le marché Soquij. Enfin nous tenterons de dégager les conclusions générales et de prévoir les préférences futures des juristes québécois.

@A. La documentation juridique telle que perçue au début des années '70

@@1. La doctrine

Il nous a paru utile de revenir brièvement à deux articles publiés au moment où le mouvement innovateur dans la documentation juridique se faisait sentir, mais n'avait pas encore acquis de forme précise. Il s'agit d'articles de A. Popovici, publié en 19725, et de C. Tellier, publié en 19736.

Monsieur Popovici ne s'attache qu'à la jurisprudence, Il fait à ce sujet des ' observations qui, avec le temps, paraissent fort perspicaces. A propos de la publication proprement dite, il fait état de retards qui dépassent ce qui est connu ailleurs7. De plus, il fait remarquer que la plupart de nos Recueils sont publiés mensuellement, alors qu'ailleurs on connaît souvent des publications hebdomadaires.

Le choix des textes à publier laisse également à désirer. Le nombre de pages dans les Recueils et le nombre de décision y rapportées n'ont presque pas augmenté depuis le début du siècle8. Le choix de ce qui est publié est fait au gré des contacts qu'ont les arrêtistes avec les juges et les avocats. Il en résulte parfois que des décisions importantes circulent, on dirait presque «sous le manteau»: une jurisprudence souterraine, qui entrave le principe de la publicité.

Non seulement la disponibilité de la source primaire laisse à désirer, l'accès l'est également par les failles de l'Annuaire et des index dans les Recueils. A ces outils de recherche, M. Popovici reproche leur hétérogénéité et il note l'absence d'un répertoire consolidant les outils de recherche depuis 1955.

Enfin, quant au contenu des Recueils, cet auteur estime qu'il serait opportun de l'enrichir de notes ou annotations qui placent les décisions dans leur contexte et en soulignent l'importance. De plus, on pourrait songer à y inclure des chroniques et des sommaires de la législation récente.

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On se convainc sans difficulté que l'intervention de Soquij a porté tout d'abord sur les premiers de ces problèmes. Par l'effet combiné du Jurisprudence Express, du service du texte Intégral et des Recueils, la question des retards devrait avoir perdu de son actualité. La cueillette des décisions est désormais centralisée à Soquij. De la relative rareté des décisions publiées dans les revues de droit universitaires, il est permis de conclure que le problème du choix a également perdu de son acuité. L'Annuaire aussi bien que les Index des Recueils ont été améliorés sur plusieurs plans.

Enfin, les questions de la consolidation des Annuaires et de la jonction de diverses sources de droit dans une seule publication demeurent d'actualité, les résultats du sondage devraient nous permettre de formuler des conclusions à ce sujet.

L'article de C. Tellier dresse un tableau général du problème documentaire auquel fait face le praticien. Cet auteur voit à ce problème deux volets: celui de la documentation et celui du recyclage. Pour ce qui est de la documentation législative, M. Tellier souligne l'intérêt d'une refonte des lois continue et le problème du retard dans la publication des lois. L'accès aux règlements est décrié corne «critique», la soluzion envisagée étant celle de l'informatisation. Pour la jurisprudence, l'article arrive aux mêmes constats que M. Popovici. Il est Intéressant de citer Ici un des «problèmes» notés par M. Tellier: «9) disons qu'il ya aussi des publications faites en dehors du Québec et qui conservent un Intérêt Indiscutable dans des domaines qui relèvent de l'autorité législative du parlement fédéral»9. S'agitil de souligner la difficulté d'accès à ces sources, Ou plutôt l'Ignorance injustifiée de ces documents chez les juristes québécois, Les résultats du sondage nous l'ont craindre que la connaissance de ces sources aussi bien que l'accès soient problématiques à l'heure actuelle. La doctrine, enfin, est lacunaire, aux yeux de cet auteur, parce que les Traités classiques sont épuisés et que les revues professionnelles sombrent dans l'insignifiance.

M. Tellier souligne l'Intérêt pour les juristes de se recycler. La documentation ne peut leur apporter que des réponses parcellaires; le praticien devra se recycler pour mettre à jour sa conception et sa connaissance du droit d'une manière globale. Mais il faut alors trouver un mode de communication qui corresponde aux contraintes du travail des praticiens: la formule des cours hebdomadaires à heure fixe ne convient sûrement pas. M. Tellier propose la vole audiovisuelle, Les chambres professionnelles ont essayé, avec beaucoup de succès, la formule des cours Intensifs de perfectionnement. Nous avons peine à croire que ces initiatives suffisent. Il y a Ici un domaine, non exploré par le sondage, où Soquij devrait Identifier les besoins et définir son rôle.

L'article de M. Tellier soulève en conclusion une question qui n'a pasPage 165 jusqu'ici donné lieu à un débat public: le rôle des fonds publics dans le documentation juridique. Il vâ sans dire qu'en octroyant les subsides nécessaires, l'Etat peut assurer une documentation juridique qui se compare bien âvec celle de nos voisins. Mais estce justifié. M. Tellier cherche le fondement d'une telle intervention dans l'analogie âvec les hôpitaux, salles d'opérations, équipements de pointe que l'Etat met à la disposition des médecins. Incontestablement une accessibilité minimale à la justice est un bien . collectif au même titre que la santé. Mais audelà de ce minimum, l'amélioration des sources documentaires du juriste génère des bénéfices qui sont fort inégalement répartis dans la population, client ultime du monde juridique. Dans ces circonstances, il convient de demander pourquoi il n'incomberait...

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