Ebauche d'une thèorie juridique de l'information

AutorePierre Catala
CaricaProfesseur à l'Université de Droit, d'Economie et de Séences Sociales de Paris (Péris II)
Pagine15-31

    Cette étude développe les réiexions présentées oralement le 12 mai 1982 lors des Deuxièmes Entretiens du Droit de l'Informatique de Nanterre. Elle sera publiée dans la «Revue de Droit prospectif» de l'Université d'Aix-Marseille III.


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  1. L'ampleur des produits et des services nouveaux, qui gravitent autour de l'information et s'offrent à la consommation des cerveaux, interpelle aujourd'hui le législateur. Rencontres et travaux scientifiques se multiplient en tous lieux, pour constater l'apparition d'un «droit de l'informatique», voire de la «télématique», et pour en suggérer le renforcement1.

    Mais l'informatique et la télématique demeurent tributaires d'une technologie en constant devenir. Aussi les problèmes de droit qu'elles proposent à la sagacité des juristes, sontils sous la dépendance de données techniques mouvantes. Si ces problèmes peuvent être réglés par voie de conventions, cellesci sauront sans doute s'adapter à l'évolution des matériels et des systèmes. Si, au contraire, les possibilités du contrat se révèlent insuffisantes et qu'il faille légiférer, comme beaucoup le pensent désormais, tout porte à craindre les malfaçons du législateur.

    Comment éviter, en effet, que la réponse de la Loi au défi électronique ne s'êlabore dans le désordre sous forme de réglementations mal coordonnées minutieuses i l'excès et cependant parcellaires, attelées au progrès scientifique et, comme lui, sans cesse remises en question, oublieuses enfin dePage 16 quelques vérités permanentes auxquelles pourraient s'attacher des règles stables.

  2. En d'autres domaines, l'expérience montre que le droit s'est formé à partir d'une notion fondamentale et de quelques principes, autour desquels sont veeues. s'articuler des législations spécifiques, Pour retenir deux exemples entre mille, il est clair que les textes relatifs aux Immeubles et au sociétés se diversifient sans. cesse à partir d'un tronc commun bien Identifié. Quand la complexité s'édifie ainsi par arborescence, le danger d'Incohérence entre plusieurs des sous-ensembles n'est pas tout à fait écarté, mais il est certainement reporté à des distances plus rassurantes. Le moment paraît dès lors venu de formuler les définitions, les Idées essentielles qui pourraient ordonner la lex ferenda d'une société Informatisée, avant qu'une végétation spontanée de régies n'obscurcisse Irrémédiablement le terrain.

    A cette fin, U faut que la pensée, fidèle au discours de la méthode, se tourne vers ce qu'il y a de plus général, voire de plus abstrait. Or, l'informatique ayant pour fonction de traiter l'information et la télématique de la déplacer, ces deux disciplines opèrent sur un dénominateur commun, l'Information, qui devrait logiquement se retrouver au coeur de toutes les difficultés juridiques qu'elles suscitent. D'où l'hypothèse qu'une théorie juridique de l'information pourrait servir de socle au droit futur qu'appellent ses transformations et ses transferts2.

  3. Posons en premier postulat que l'Information est un bien susceptible d'appropriation. Sa vocation naturelle est de posséder, sauf exception, une valeur patrimoniale. Quand le commerce n'en est pas interdit, l'Information est un bien marchand dont le prix se détermine par les lois du marché. Les agences de presse font profession de la vendre» ainsi que tout organisme spécialisé dans le renseignement. De façon plus diffuse, mais aussi plus générale, les devoirs de conseil et autres obligations de renseignement qui parsèment le champ contractuel ont pour objet une Information spécifique due par le sachant à son partenaire. 'Plus que jamais, dans une société dominée par la technique, le savoir est un ressort convoité de la puissance; cette réalité donne sa valeur à l'information, véhicule du savoir. Il n'est donc pas surprenant que la demande Ici, précède parfois l'offre, que l'on propose une somme d'argent pour une masse de données (le fichier»clientèle d'Electricité de France, par exemple...) qui n'ont pas été amassées en vue de la vente.

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    A travers les prestations des professionnels l'information se présente souvent comme un service auquel. on serait tenté de l'identifier. Il ne faut pourtant pas s'en tenir à cette apparence occasionnelle. L'information ne se ramène ni à l'objet qui la porte ni au geste qui la communique, elle a une réalité intrinsèque. Indépendante à la fois de son support matériel et de la prestation qui la délivre, l'information est un bien en soi, immatériel certes, mais constituant un produit autonome et antérieur à tous les services dont elle pourra être l'objet.

    Si l'analyse du commerce auquel l'information donne lieu ne distingue pas toujours clairement le produit du service, c'est-à-dire le bien de la prestation, le droit pénal, lui, ne s'y trompe pas. En sanctionnant le vol d'une bande magnétique enregistrée, ce n'est pas la soustraction du support mais celle des données qu'il réprime» des données qui;cûnstituent la «chose» d'autrui, comme elles pourraient former la matière d'une escroquerie ou d'un abus de confiance. Le droit pénal encore, incriminant la fausse nouvelle (L, 29 juillet 1881, art. 27), considère la falsification de l'information comme celle d'un produit quelconque.

  4. De ce bien, dont l'importance culturelle, politique et économique est immense, les lois, pourtant ne parlent guère. Celle du 29 juillet 1881 déclare libres la librairie et l'imprimerie et organise l'usage de cette liberté, mais sans définir son objet, comme si la notion d'information allait de soi. La loi du 6 janvier 1978 donne une image des informations nominatives; les textes relatifs aux propriétés intellectuelles déterminent les oeuvres et les inventions protégées; mais ce sont là des informations de type particulier et non pas l'information en soi.

    Pour la première fois, la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audio-visuelle vient d'avancer une définition générale - mais redondante - de l'information dans son article 1 qui parle «de sons, d'images, de documents, de données ou messages de toute nature ». Encore est il que cette définition se trouve énoncée à propos de la communication (service) et non pas de l'information considérée en elle même comme un objet. C'est cette dernière analyse qu'il faut essayer de creuser.

  5. Qu'est ce donc que l'information? Les dictionnaires disent que le verbe informer possède deux significations: donner forme, structure, signification d'une part; mettre au courant, faire part, instruire, d'autre part. Sans doute n'y a-t-il là que les deux étapes d'une unique fonction le transfert des connaissances. L'information est d'abord expression, formulation destinée à rendre un message communicable; elle est ensuite communiquée, ou peut l'être, à l'aide du signe choisi pour porter le message à autrui.

    Cette analyse met l'accent sur l'expression, comme point de passage nécessaire du simple fait ou de l'idée à l'information. Le fait précède la donnée qui la dénomme. La pure idée abstraite n'est pas information avant d'être coulée en signes intelligibles; dans le for interne de son auteur» elle échappePage 18 à toute emprise juridique, comme l'intention criminelle avant le commencement d'exécution. Ainsi, dans sa plus grande généralité sémantique, l'information est. un message quelconque. Son auteur est celui qui rend communicable le fait qu'il a perçu ou l'idée qu'il»a conçue. En son premier état, l'information comporte un sujet de droit, son auteur, et un objet de droit, son contenu intelligible.

    Cependant, s'il est de l'essence de l'information d'être communicable, il est dans sa nature d'être communiquée. Cette fonction met en scèae un autre sujet de droit: le destinataire du message, individu isolé ou multitude, sujet passif o interactif, mais en tout cas partenaire de la communication. Pour donner une image exacte de l'information, il faut aussi prendre en compte sa destination, et pas seulement sa genèse, Elle apparaît alors comme une relation juridique de transfert entre celui qui émet le message et celui qui le reçoit. Un peu à la manière du rapport obligatoire, cette relation unit deux personnes ou un plus grand nombre à propos d'un objet. Comme il arrive souvent dans la langue du droit, un même terme, l'information, .désigne à la fois la relation interpersonnelle et sa matière.

  6. Cette analyse par éléments montre la fragilité du savoir dans les civilisations antérieures à l'écrit, de tradition orale, où l'information n'est transmise que par des messages évanescents et périt âvec ceux qui font en mémoire. Elle explique l'importance qu'eurent, tour à tour, la révolution qualitative de l'écriture substituant le signe au son sur un support non mortel, puis celle quantitative de l'imprimerie donnant à la précédente sa dimension universelle. Elle permet, enfin, de comprendre à la rtcine de ses causes le bond prodigieux, la véritable explosion de l'information depuis un siècle.

    L'information» a-t-on dit, est successivement formulation et communication. Sous ces deux aspects elle a besoin d'outils. Or, le progrès de la technologie a centuplé les outils qui lui sont disponibles.

    Dans Tordre de la formulation, tout est affaire de mesure et de langage. En même temps qu'ils inventaient les instruments de mesure les plus divers, qu'il s'agisse d'espace, de volume ou de temps, de matière ou d'énergie, les hommes établissaient les unités de compte, les étalons, les mots et les signes propres à exprimer les conquêtes nouvelles du savoir. De façon parallèle, les procédés permettant de capter et de fixer l'image ou le son, accroissent immensément les capacités de collecte et de stockage, détruisant le mono» pôle de l'écrit comme support de la connaissance communicable, Enfin, la possibilité de transformer et de retrouver les donnés par l'informatique, celle de les transmettre dans des conditions qui abolissent l'espace et le temps, bouleversent aujourd'hui l'autre terme de l'information, celui de la communication.

  7. Depuis un siècle, donc, l'information...

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