Brèves réflexions sur le droit d'auteur suscitées par le problème de la protection des logiciels

AutoreMichel Vivant
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  1. La question de la protection du logiciel est, à l'heure actuelle, pour le juriste, au nombre des questions les plus aiguës que suscite l'irruption de l'informatique dans notre Univers. Dans un concert à voix multiples, les auteurs (qui n'échappent pas toujours à la répétition) s'interrogent depuis un peu plus d'une dizaine d'années1: comment protéger ce bien - car 1 s'agit d'un bien2 - qu'est le logiciel, Le débat, a3 d'ailleurs, depuis peu, perdu de son académisme. En effet» ce qui naguère n'était encore que spéculations est devenu aujourd'hui droit positif. L'OMPI a, sinon tracé la voie à suivre, du moins manifesté l'intérêt qu'il y avait à assurer une telle protection par l'élaboration, dès 1977, de ses «dispositions types»3. La Bulgarie, seule au monde à avoir choisi une telle politique, a, en 1978, adopté une législation propre à la matière4. Moins radicalement, les Etats-Unis, suivant les recommandations de la «Commission on New Technological Uses of Copyright », ont amendé en 1980 le Copyright Àct de 1976 afin que l'emprise de celuici puisse s'étendre sans discussion possible aux programmes d'ordinateur, En France enfin, le Tribunal de Commerce le 18 novembre 19805, puis, en appel, la Cour de Paris, le 2 novembre 19826, ont affirmé égale-Page 74ment que le logiciel pouvait être protégé par la voie du droit d'auteur. Des autorités politiques ou parapolitiques, comme le Ministre français de la Justice7 ou le Comité pour la protection juridique du software mis en place par le ministère japonais du commerce international et de l'industrie8, se sont prononcées dans le même sens.

  2. Dans cette progressive conquête du terrain, la propriété littéraire et artistique prend ainsi nettement le pas sur la propriété industrielle vers laquelle l'esprit pouvait, pourtant, de prime abord incliner, de par l'évidente dimension scientifique et technique qui est celle du logiciel. Ce n'est pas pour surprendre les européens qui savent que la voie du brevet est fermée avec la Convention de Munich sur le brevet européen du 5 octobre 1973 pour laquelle les programmes d'ordinateur «ne sont pas considérés comme des inventions»9 et dont les termes sont aujourd'hui repris par la plupart des législations nationales10, alors que, par exemple, les auteurs américains en sont encore à s'interroger, à travers une jurisprudence assez floue, sur la brevetabilité ou la non brevetabilité des programmes11. Au demeurant, ce n'est pas dire qu'en l'absence d'une règle de prohibition semblable à celle posée par la Convention de Munich12, le logiciel ne devrait pas accéder au brevet13. Mais, à l'inverse, reconnaître aux créateurs de logiciels un droit d'auteur, c'est indiscutablement affirmer qu'un logiciel satisfait, ou, au moins, peut satisfaire, aux exigences qui sont ceies du droit de la propriété littéraire et artistique.

    3, Or plus qu'à une discussion critique en termes de oui ou de non oui, pour avoir les mérites du langage informatique binaire, n'en serait pas moins un peu sèche et un peu vâine, cette idée engage à repenser les termes mêmes du problème. Ainsi, la conception do critère d'originalité, qui est le facteur même de protection14 en matière de droit d'auteur et, par là, le pivot de l'institution, peut difficilement demeurer exempte de toute remise en cause, quand il s'agit de protéger quelque chose dont on a pu penser, il estPage 75 vrai avec quelque excès, qu'elle s'apprentait à E =MC215 et qui n'a, en toutes hypothèses, que peu de rapport âvec les Stanze de Raphael ou le Gilles de Watteau.

    I
  3. L'originalité est le passage obligé de toute oeuvre qui aspire (dont l'auteur) aspire à la protection. Sans doute, ni la Convention de Berne du 9 septembre 1886, ni la Convention de Genève du 6 septembre 1952, qui se bornent à parler d'« ceuvres», n'y font une référence explicite, encore que la première citée évoque au détour d'une formule les «ceuvres originales» mais en vérité dans une acception particulière qui renvoie par antonymie à l'idée d'oeuvres dérivées. La loi française du 11 mars 1957 parle encore d'« ceuvre» et de «création», mais si l'expression «ceuvre originale» est employée comme -dans la Convention de Berne, il y est dit de façon plus précise que le titre d'une ceuvre doit, pour pouvoir être protégé, présenter «un caractère original». Le droit italien fait référence au «caractère créatif» requis de l'ceuvre intellectuelle, Le droit allemand, plus explicite encore, pose que l'ceuvre protégeable «ne peut consister qu'en des créations intellectuelles personnelles». Les expressions sont donc variées, le non-dit l'emporte souvent sur le dit, mais l'exigence d'originalité est bien toujours posée16. Pour le droit français, le Doyen Desbois écrit ainsi: «Il suffit, pour qu'une ceuvre donne prise aux droits d'auteur, qu'elle soit originale»17.

  4. Partant, l'assignation d'un sens précis au mot «originalité» est capitale pur la maîtrise de la matière. Or les spécialistes français de celleci définissent toujours l'originalité par opposition à la nouveauté que requiert le droit de la propriété industrielles qu'il s'agisse de brevets ou de marques. Quand le Doyen Desbois écrit que l'ceuvre doit être originale, c'est pour ajouter dans l'instant: «Point n'est besoin qu'elle soit nouvelle»18. Des exemples viennent illustrer le propos, voici mis en scène deux peintres «qui, sans s'être concertés..., fixent l'un après l'autre, sur leurs toiles, le même site, dans la même perspecttre et sous le même éclairage»19 ou deux sculpteurs dont le second, «élève du premier, crée sa sculpture en copiant l'ceuvre de son maître»20. On nous dit que l'ceuvre du second en date ne peut pas être nouvelle mais qu'elle n'est pas, pour autant, dépourvue d'originalité.

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    C'est que - dit-on encore21 - la nouveauté a un caractère objectif, alors que l'originalité a un caractère subjectif. Quand Renoir et Monet peignent, l'un et l'autre, la Seine à Argenteuil, quand, sur leurs toiles, apparaissent la même voile, le même embarcadère, le même reflet et, jusque dans le lointain, indistinct sur l'autre rive, le même petit pavillon ou le même pigeonnier, peu importe de savoir qui a, le premier, planté son chevalet, car, audelà de toute rencontre, une de ces ceuvres restera toujours un Renoir et l'autre un Monet.

    Dans cette conception, le droit d'auteur récompense la création, l'acte de création rapporté à son auteur, le brevet, l'apport à la collective d'une technique nouvelle jusque là inconnue d'elle. Le droit de la propriété industrielle est tout entier tourné vers l'intérêt général, le droit de la propriété littéraire et artistique vers l'intérêt particulier des créateurs, il n'est que l'« expression du respect qui est dû aux ceuvres de l'esprit et à leurs créateurs »22.

  5. Au vrai, il faut reconnaître que certains auteurs ne s'embarassent guère de tels distinguos. Pour les uns, nouveauté ou originalité justifient également la protection au titre du droit d'auteur23. Pour d'autres, raisonnant sur le cas propre des dessins et modèles pour lesquels la loi française requiert la nouveauté, les deux notions sont si proches que toute distinction devient inutile24. Mais ceci est loin d'être l'opinion dominante, même si l'on peut relever quelques décisions en ce sens25.

    II
  6. La question propre que suscite la protection des logiciels par le moyen du droit d'auteur est alors évidente; le logiciel, ceuvre de logique, peutil être...

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