Le juge et la preuve électronique

AutoreEric A. Caprioli
Pagine31-76

    Réflexions sur le projet de loi portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'Information et relatif à la signature électronique


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@Introduction

Le passage de l'analogique au numérique annonce l'avènement d'un nouvel age dont les conséquences juridiques sont multiples1. Ainsi, avec la généralisation du commerce électronique et du multimédia, l'humanité connaît une véritable révolution, à l'instar de ce qu'elle a vécu lors de la révolution agraire et de la révolution industrielle» Grace à la connexion des réseaux numériques (informatique et télécommunications) tant au niveau planétaire qu'au niveau local, les communications s'opèrent à distance et sans support papier, Les technologies de l'information induisent l'international et l'interactivité. L'accélération du temps et la réduction de l'espace ont d'importantes conséquences juridiques. Les transmissions et l'accès aux informations sont devenus quasi instantanés. Or, le droit est souvent perçu comme un frein voire comme un obstacle, ou à tout le moins, comme un facteur d'insécurité tant par les acteurs que par tous les utilisateurs potentiels. La dimension légale est susceptible d'engendrer de nombreux risques qu'il convient d'évaluer lorsque une personne (physique ou morale, privée ou publique) ouvre un site sur l'Internet. A la fiabilité et la sécurité technique doit correspondre la sécurité juridique. En ce domaine, le droit contribue à la confiance; sans eËe, le commerce électronique ne pourra bénéficier au plus grand nombre, générer de la valeur ajoutée et créer des richesses.

En France, dans le cadre de son programme d'action pour l'entrée dans la société d'information, le gouvernement a décidé, le 19 janvier 1999, d'accorder progressivement une liberté totale d'utiliser les moyens de crypto-Page 32graphie pour assurer la confidentialité des messages échangés2. La première étape a consisté à libéraliser l'utilisation des moyens de cryptologie jusqu'à 128 bits3. La seconde étape consacrera un régime de liberté totale en la matière (elle doit intervenir lors de la loi «cadre» sur l'Internet au cours du premier semestre de l'an 2000)4. De cette façon, les correspondances privées, les informations administratives, commerciales et industrielles peuvent rester secrètes; le niveau de sécurité de ces technologies interdit à toute personne non autorisée d'accéder aux données en clair. L'importance de ce texte n'est pas négligeable car la conservation d'informations secrètes peut résulter d'une action volontaire ou d'une obligation légale. Toutefois, la signature nmmérique, à base de cryptologie à clé publique, faisait déjà l'objet d'une pleine liberté d'utilisation depuis la loi n. 96-659 du 26 juilet 1996 sur les télécommunications. Le régime juridique de la cryptologie à des fins de signature numérique se distingue du régime des fournitures, utilisation et importation à des fins de confidentialité5.

Mais ce texte ne résoud pas la question de la preuve. Un projet de loi portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif a la signature électronique a été adopté en Conseil des Ministres et transmis au Sénat (son vote devrait intervenir entre décembre et janvier 2000). Ce texte reconnaît expressément la valeur probante à l'écrit et a la signature sous forme électronique. Désormais, on ne devrait plus distinguer entre les supports de l'écrit ni selon les modalités de sa transmission. L'écrit électronique signé à l'aide d'une signature électronique sera désormais admis en preuve au méme titre que l'écrit sur support papier, à condition que l'identité de la personne dont il émane soit assurée et que son intégrité soit garantie. En revanche, soulignons que les actes authentiques, contrat de mariage, vente d'immeuble, ne peuvent se soustraire au respect des solennités requises pour leur validité. Cette réforme du droit de la preuve est une donnée majeure pour l'avenir, elle apporte une pierre fondatrice à l'édification du droit des technologies de l'information. EllePage 33 sécurise tous les contrats électroniques et leurs paiements6, spécialement lorsqu'ils s'opèrent en réseaux ouverts et non au sein d'un cadre contractuel préexistant7. Le contexte juridique envisagé est beaucoup plus large que celui des cartes bancaires largement diffusées auprès de la clientèle des banques, les actes juridiques concernés ne sont pas cantonnés aux seuls ordres de paiement et les montants des transactions ne sont pas limités.

Les causes de cette révolution juridique sont plurales. Une approche comparative conduit au constat suivant: dans la plupart des pays, des «barrières légales» - pour reprendre une formule onusienne - existent alors que tous les pays aspirent sinon à une uniformisation des règles juridiques applicables aux opérations contractuelles en ligne afin de bénéficier de la sécurité juridique, au moins a une harmonisation, ce qui est un minimum, indispensable pour sécuriser les acteurs (Etats, organisations, entreprises, individus).

Cela introduit l'écrit sous toutes les formes qu'il peut et pourra revétir, et spécialement en consacrant l'acte juridique sous forme électronique et son pendant: la signature du méme nom.

@@@a) Des obstacles juridiques relatifs à l'admission de la preuve et de la signature électronique

Consacré dans l'ordonnance de Moulins de 1566 qui posa «la règle de la preuve écrite des actes juridiques»8, depuis 1804, notre système de droit privé vit essentiellement sous le monopole de l'écrit papier, signé! Dès lors, il n'y aurait pas besoin de loi modifiant les règles de preuve car en dehors du papier point de salut... Rien ne permettait d'avoir autant de «garantie», de sécurité depuis que «le serment a expiré sous la plume»9. UnePage 34 telle conclusion serait contraire à la réalité actuelle des technologies de l'information; dans l'univers électronique, la sécurité quant aux garanties d'intégrité ou d'identification sont bien supérieures a celles qui existent avec le papier, falsifiable par définition10. De plus, il n'y avait pas de véritables besoins juridiques de modifier le code civil jusquà l'apparition, puis l'expérimentation, et le développement des technologies de l'information, phénomène devenu irréversible. L'environnement technologique a changé radicalement, aussi le droit est souvent perçu comme un frein au progrès, au développement et pourquoi pas un obstacle pour l'entrée dans ce qu'il est courant d'appeler la «société de l'information». Aux plans politique, économique, social et culturel, l'utilisation des technologies de l'information est ressentie comme un besoin véritable.

Tout le monde s'accorde à penser que notre système probatoire des actes juridiques se fonde sur la prééminence de l'écrit (sousentendu papier). Le code civil n'estil pas traditionnellement ancré dans l'univers papier, On eut pu le croire, mais le papier est en situation de monopole de fait. Car rien dans notre code n'imposait que tous les écrits soient établis sous la forme d'un document papier, signé à la main. La jurisprudence la plus ancienne - comme d'ailleurs la plus récente - le démontre de façon magistrale. Citons en cet endroit, un arrét de la Cour d'Aixen-Provence du 27 janvier 184611. Le système de la preuve légale, contrairement au système de la preuve dite libre, pose le principe de la hiérarchie des preuves. En son sein, on y retrouve péle-méle les notions essentielles d'écrit, de signature, d'original, d'exemplaires, voire de document. Le projet de loi dis-Page 35pose qu'à l'article 1326 du code civil, les mots «de sa main» soient remplacés par les mots «par luiméme» afin de palier aux obligations relatives à des mentions manuscrites, ce qui rend impossible tout remplacement de l'écrit papier par des messages électroniques12.

@@@b) Le besoin d'harmonisation: une lame de fond internationale

Les sources du droit du commerce électronique sont profondément ancrées dans le droit du commerce international13, elles tendent à rendre poreuse la frontière qui sépare soft law et hard law. Dans cette perspective, selon Bruno Oppetit, le droit du commerce international manifeste «une aspiration certaine à l'unité et à l'universalité, sur la base d'une communauté de besoins et d'intéréts de la communauté économique internationale. Il s'accommode mal à ce titre d'une fragmentation de f espace juridique international, et prône l'utilisation de notions juridiques unificatrices, telles que la lex mercatoria, les principes généraux du droit, ou f ordre public réellement international»14. Or, les réseaux numériques, passage obligé du commerce électronique, présupposent que l'on se situe dans un espace juridique relevant du commerce international. Cela est inhérent à la nature des technologies et des nouveaux média de plus en plus largement utilisés dans la pratique des affaires et, d'une façon plus générale, comme moyen de communication par les individus, les personnes publiques, les associations15.

L'impulsion est venue de la Commission des Nations Unies pour lePage 36 droit commercial international (C.N.U.D.C.I) lorsqu'elle a demandé aux

Etats membres et aux organisations internationales de réexaminer les exigences légales relatives à la valeur probatoire des enregistrements informatiques, ainsi que celles relatives á la «signature manuscrite ou de toute autre méthode d'authentification sur papier pour les documents commerciaux afin de permettre, le cas échéant, l'utilisation de moyens électroniques d'authentification»16.

En 1996, la Commission a adopté la loi-type sur le commerce électronique17. Eu égard a la nature de l'instrument18, l'objectif était de proposer aux Etats un ensemble de dispositions juridiques élaborées au niveau international, de sorte que les principaux obstacles au développement du commerce électronique soient éliminés, Leur adoption doit se traduire par une plus grande sécurité juridique19. Cependant, la portée -juridique de cet instrument international ne saurait...

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