L'Informatique, l' Internet et les Cours supremes d'Europe

AutoreGiacomo Oberto
CaricaJuge au Tribunal de Turin
Pagine7-29

    Rapport présenté à la réunion des Présidents des Cours Suprêmes sur le thème «La Cour Suprême: publicité, visibilité et transparence», organisée à Ljubljana, Slovénie, les 6-8 octobre 1999 par le Conseil de l'Europe conjointement avec la Cour Suprême de Slovénie dans le cadre de ses activités pour le développement et la consolidation de la stabilité démocratique. Toutes les adresses web citées dans cet ouvrage ont été vérifiées le 22 août 1999, Cet article a été publié en forme hypertextuelle sur le web dans le site de l'auteur .


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"«L'informatique juridique rééquilibrera la complexification du droit». (Jean CARBONNIER, Droit et informatique, L'hermine et la puce. Préface)

Notre but est non seulement celui d'expliquer quelles sont les chances que les machines ont dans tous les domaines qui jusqu'à maintenant ont été considérés comme exclusivement réservés à l'activité humaine, mais aussi de mettre en garde contre les dangers d'une exploitation égoiste de ces chances, dans un monde où les hommes doivent surtout s'intéresser aux affaires humaines

.

(Norber WIENER, The Hurnan Use ofHuman Beings, I)

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@1. L'informatique juridique: généralités

L'informatique juridique est née aux Etats-Unis il y a quelques dizaines d'années; déjà en 1949, dans un article publié sur la Minnesota Law Review, Lee Loevinger avait préconisé une nouvelle science, qu'il âvait nomme jurimetrics («jurimétrie»). Par ce terme Loevinger désignait l'emploi des «sciences exactes», et notamment de l'informatique, dans le domaine du droit. Ce n'est cependant qu'au début des années 1960 que Hans Baade et d'autres juristes (tels que G. Schubert, ou Paul Hoffmann) définissent comme il suit l'objet de cette nouvelle discipline:

- l'utilisation de l'ordinateur pour le repérage des données et des informations;

- l'application de la logique aux normes et aux activités juridiques;

- la prevision des décisions de justice.

La dernière de ces fonctions était à l'époque considérée comme très importante dans les systèmes de Common Lam, où les précédants ont une valeur contraignante; déjà en 1964 aux Etats-Unis-un Law Research Service fut créé et doté d'un ordinateur dans lequel plusieurs arrêts furent insérés; le système pouvait aussi être interrogé à distance par le biais de terminaux reliés par des câbles téléphoniques. En réalité l'idée d'aboutir à un système où l'on puisse prévoir les résultats des procès était destinée à n'être qu'une illusion, ce qui d'ailleurs a été bien compris de ce côté de l'Atlantique, lorsque cette nouvelle discipline est débarquée, vers la fin des années 19601, Tout le monde sait aujourd'hui que cet emploi de l'ordinateur en guise d'horoscope judiciaire automatisé est interdit par la complexité du système juridique, ainsi que par la variété des faits qui sont soumis à l'attention des juges.

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Cela ne veut pas dire, bien entendu, que les moyens de l'informatique ne soient pas de grande utilité pour tout juriste et notamment pour le magistrat; mais, pour mieux saisir les immenses potentialités offertes par cette nouvelle branche du savoir juridique il faut d'abord essayer d'en connaitre l'étendue. On fait donc aujourd'hui une distinction entre Informatique juridique:

- au sens large et

- au sens strict.

L'Informatique juridique au sens large est la discipline qui étudie l'application au droit de toute activité Informatique. L'Informatique juridique au sens strict n'est que l'Informatique juridique documentaire (sur laquelle v. infra, § 2). La première des deux définitions comprend donc:

- l'informatique juridique documentaire;

- l'informatique juridique métadocumentaire (c'est la branche de l'informatique juridique qui s'occupe des systèmes experts, c'est-à-dire des logiciels qui visent à fournir à l'opérateur la solution de problèmes spécifiques2);

- l'Informatique judiciaire (qui s'occupe de l'Informatisation des registres et de toutes les autres activités des bureaux de greffe3);

- le droit de l'informatique (protection juridique des logiciels, protection de la vie privée et banques de données personnelles, la signature électronique, les contrats informatiques, Internet et le droit, les délits commis par le biais des moyens informatiques, etc.4);

- l'informatique juridique «personnelle» (c'est-à-dire l'application des moyens de l'informatique pour la formation - initiale et continue - des juristes, pour l'organisation des cabinets d'avocat ou de notaire, etc.5).

Voici done comme on peut rendre sous forme de schéma les propos qu'on vient de présenter:

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Informatique juridique (au sens large):
c'est la discipline qui s'occupe de l'application au droit de toute activité informatique; elle comprend:
1. Informatique juridique documentaire, qui est aussi appelée informatique juridique au sens strict;
2. Informatique juridique metadocumentaire;
3. Informatique judiciaire;
4. Droit de l'informatique;
5. Informatique juridique «personnelle».

@2. L'informatique juridique documentaire

L'informatique juridique documentaire (ou informatique juridique au sens strict) s'occupe du stockage et du catalogage des documents d'intérêt juridique dans des bases de données électroniques afin de permettre à toute personne intéressée de repérer ces mêmes documents à travers des logiciels en utilisant différentes méthodes de recherche et dans un délai le plus bref possible6.

Les documents d'intérêt juridique sont ceux qui concernent;

- le domaine législatif,

- le domaine jurisprudentiel,

- le domaine doctrinaire,

- le domaine bibliographique.

On peut donc bien comprendre que les documents dont fait ici mention sont (principalement):

- des textes de loi,

- des arrêts,

- des livres ou des articles de doctrine,

- des informations bibliographiques (c'est-à-dire des informations finalisées à repérer les publications «sur papier» d'intérêt juridique).

Les banques de données juridiques, dont on vient de faire mention, peuvent être:

- on-line (c'est-à-dire accessibles par les moyens de la télématique, et notamment par le biais de l'Internet), ou bien

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- off-Iine (c'est-à-dire non accessibles par voie télématique et donc gardées soit sur le disque dur de l'ordinateur, soit sur des CD-ROM ou des DVD).

Il est donc évident que l'Internet est un instrument d'importance capitale afin de permettre à tout usager d'accéder à des banques de données d'intérêt juridique situées aux quatre coins du monde. Par ce biais tout juge pourra connaitre la législation, la jurisprudence et la doctrine non seulement de son pays, mais aussi de pays étrangers. Les juges des Cours Suprêmes, de leur coté, pourront mieux remplir leur obligation de sauvegarder - en toute connaissance de cause - l'uniformité de l'interprétation de la loi7, tout en favorisant, en même temps, le processus d'intégration des différents systèmes juridiques.

L'informatique juridique peut donner une importante contribution en vue de la solution du problème, de plus en plus grave de nos jours, représenté par l' «inflation législative». Il s'agit d'un sujet que j'ai développé ailleurs et qui ne peut pas être traité ici8. Il suffira de dire qu'en effet, pour faire face à une croissante «complexification du droit»9 il faudrait penser à entamer une oeuvre de «délégislation», c'est-à-dire de transformation de la discipline législative de certains domaines en discipline réglementaire. Mais, pour aboutir à ce véritable «retissage de la législation», il faut d'abord, matière par matière, analyser l'état du corps législatif; cela n'est possible aujourd'hui qu'avec l'aide de l'informatique et notamment de l'informatique juridique documentaire, comme on le verra dans le paragraphe suivant.

Les banques de donnés juridiques accessibles par le biais de l'Internet sont aujourd'hui innombrables, Pour donner un exemple de l'utilité de l'interrogation de ces archives, je voudrais maintenant illustrer très brièvement quelques aspects de la recherche informatisée à l'intérieur de la banque de données la plus complète qui existe dans mon pays, c'est-à-dire le

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Centre Electronique de Documentation de la Cour Suprême de Cassation italienne10.

@3. Le Centre Electronique de Documentation (C.E.D.) de la Cour de Cassation italienne

J'ai la chance d'habiter un pays dont la Cour de Cassation a mis en oeuvre depuis presque trente ans un Centre d'Elaboration de Donnés (Centra Elaborazione Dali, C.E.D.) dans lequel plusieurs bases de donnés d'Intérêt juridique sont abritées. On y retrouve aujourd'hui près de 50 archives qui contiennent toute la législation applicable (soit à niveau national soit à niveau régional, soit à niveau International),-une quarantaine d'années de jurisprudence de la Cour et d'autres juridictions (dans la forme des sommaires d'arrêts), plusieurs milliers de résumés de doctrine, dizaines de milliers d'indications bibliographiques pour la recherche «traditionnelle»: il s'agit, en tout, d'un matériel composé de plus que 35 millions de documents. Toute cette masse de données est gérée par un système unitaire, nommé Italgiure-Find11, qui présente pourtant plusieurs particularités au niveau de chaque archive12 .

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En ce qui concerne notamment les archives de législation on doit remarquer que les textes sont saisis et gardés dans la forme exacte qu'ils avaient au moment où ils ont été approuvés par le Parlement et promulgués par le Président de la République, même s'ils ont été par la suite abrogés ou modifiés. Un système de renvois aux lois successives et aux arrêts de la Cour Constitutionnelle (qui, dans le système italien, a le pouvoir d'abroger les lois) permet de vérifier immédiatement quelle est la situation normative en vigueur au moment où la recherche est effectuée. Le choix de présenter les textes des lois dans leur version originelle a été conditionné par le fait que notre système ne connait pas seulement les abrogations et les modifications explicites, mais aussi celles implicites; cela veut dire que personne ne peut établir a...

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