La genèse d'un système de logique des normes

AutoreGeorges Kalinowski
CaricaDirecteur de recherche au Centre Natiurai de le Recherche (Paris)
Pagine251-268

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Les organisateurs de notre rencontre ont jugé opportun de lui conférer un caractère d'initiation, introductoire et élémentaire, en harmonie avec les besoins se faisant sentir en Espagne. C'est ce que Monsieur le Professeur Miguel Sânchez Mazas m'a fait savoir en m'invitant. Je l'évoque en commençant mon exposé afin d'en justifier la conception et le contenu. Car, en réfléchissant à la meilleure manière de répondre à l'attente de nos organisateurs, j'ai eu l'idée de refaire mec vous le chemin qui m'a conduit à la logique des normes et plus précisément à mes systèmes K1 et K2 de 19531. L'exposé des raisons qui m'ont amené à les élaborer, des idées qui m'ont guidé dans ce travail et de la manière dont je l'ai effectué constituera, j'ose supposer, une bonne propédeutique, quoi qu'on pense de mes systèmes. Je les résumerai, certes, non sans prendre parti pour eux - je ne les ai jamais reniés - mais je le ferai dans un but heuristique et non publicitaire. Méme s'ils étaient critiqués, voire rejetés comme incorrects ou inadéquats, le récit d'une expérience vécue comme la mienne aura, je l'espère, la valeur d'une initiation et pourra stimuler des recherches similaires mieux réussies. Ainsi conçue, ma communication, de caractère, par là force des choses, en partie autobiographique, comportera deux parties. Je conterai d'abord dans quelles circonstances et de quéte manière l'idée d'une logique des normes m'est venue à l'esprit. Je dirai ensuite comment je l'ai réalisée. En guise de conclusion, je confronterai très brièvement ma logique des normes avec la logique déontique de von Wright laquelle, depuis 30 ans, domine presque exclusivement toute recherche logique, en rapport, d'une manière ou d'une autre, avec les normes2.

@1. L'idée d'une logique des normes

L'école logique de Varsovie a rayonné non seulement hors de Pologne, mais encore - et surtout - en Pologne. L'une des conséquences de sa riche etPage 252 intense activité entre les deux guerres, un très grand intérét pour la logique, s1 est traduite au lendemain de la dernière guerre entre autres par l'introduction d'un cours de logique au programme de la première année de droit. Evénement sans précédent. Les univetsités polonaises se sont trouvées dans l'obligation de recruter des enseignants de logique pour les facultés de droit. J'étais du nombre. Ainsi me suisje vu chargé, à partir de l'année universitaire 1948-1949, d'un cours de logique pour les étudiants de droit de première année. Personne n'avait enseigné jusque là la logique aux juristes. Pas de manuels, pas de spécialistes. Il n'y avait ni de quoi s'inspirer ni exemples à suivre. Tout était à inventer.

Il allait de soi que le cours de logique pour les étudiants de droit devâit comporter, en premier lieu, des éléments généraux de logique, les mémes qu'on enseignait aux mathématiciens, aux philosophes et, en général, à tous les étudiants de lettres (un cours analogue de logique devint obligatoire au méme moment dans toutes les sections des facultés de lettres). Mais il était tout aussi évident qu'il ne pouvait pas avoir entièrement le méme contenu que le cours de logique destiné aux mathématiciens, aux philosophes ou aux littéraires. Pour étre suivi avec intérét et profit, il devait avoir sa spécificité: répondre aux préoccupations logiques propres aux juristes. Or les juristes, comme les moralistes, sont amenés entre autres à inférer des normes. La question se pose donc de savoir quelles règles d'inférence suivent les juristes qui à bon escient ou à leur insu, accomplissent cette tâche. Cela conduit à se demander à quels schèmes d'inférence correspondent les inférences juridiques normatives (est normative une inférence dont la conclusion est une norme, ce qui implique que sa ou l'une de ses prémisse(s) est également une norme). Ces deux questions en appellent une troisième, à savoir quelles thèses, autrement dit quelles lois logiques garantissent la validité des règles d'inférence dont il s'agit et la conclusivité des schèmes d'inférence concernés3. Voilà des questions spécifiquement logiques et juridiques à la fois, Il m'a semblé que le cours de logique pour les étudiants de droit devait contenir des réponses à ces questions et que la partie de la logique apportant ces réponses devait s'appeler «logique des normes». Ici surgissaitPage 253 une nouvelle question: «La logique, telle qu'elle existait au milieu de notre siècle, contenaitelle cette partie et, partant, étaitelle à méme de fournir les réponses attendues. Seule une investigation du passé et du présent sous cet. angle là pouvait me renseigner. Je me suis donc adonné en premier lieu à cette tâche.

Les problèmes exprimés par les questions que je viens d'énoncer ne constituent en réalité qu'une partie d'un problème plus général, du problème de la justification rationnelle des normes, quelles qu'elles soient: juridiques, morales, religieuses, techniques ou autres. Or un énoncé propositionnel, qu'il soit ou non normatif, ne peut étre justifié que de l'une des trois manières: par convention, par évidence ou par inférence. En effet, on peut s'entendre (dans les limites des normes en vigueur) sur un comportement selon telles et telles normes établies précisément dans ce but. Procèdent ainsi les parties stipulant un contrat. Une telle justification des normes est rationnelle dans la mesure où c'est la raison qui indique la convention comme moyen approprié de justification et en détermine le contenu. Mais elle n'intéresse pas la logique.

A plus forte raison, elle n'intéresserait pas la logique si les normes justifiées par convention étaient des normes premières, celésci ne relevant pas de la pensée discursive, la seule concernée par la logique tu sens propre. Je mentionne ce cas pour étre complet, car je le considère comme purement théorique. En fait, il ne pourrait s'agir des normes premières justifiées par convention que si la théorie du contrat social était fondée et si aucune loi naturelle n'était antérieure à ce contrat, A mon avis ni l'un ni l'autre n'a lieu. Hélas! pour ne pas m'éloigner du sujet, je ne peux montrer ici le bien fondé de ce que je soutiens.

La logique est également étrangère à la justification des normes - et pas seulement des normes - par évidence et pour une raison analogue. L'évidence, qu'elle soit empirique ou analytique (et il n'y a que ces deux espèces d'évidence quoique l'évidence analytique se laisse encore subdiviser en apriorique et apostériorique4), est le fait de l'intuition et non du discours. Par conséquent, seule la justification rationnelle des normes par inférence concerne la logique proprement dite, Mais alors celleci est intéressée par toutes les inféreeces normatives, de quelques normes qu'il s'agisse, morales, juridiques, de savoir vivre, techniques, etc.

Les inférences normatives autres que juridiques posaient, dans toute son étendue, un problème, dont celui des inférences normatives juridiques, inférences auxqueles m'avait affronté le cours de logique pour les étudiants de droit, n'était qu'un cas particulier. En effet, il fallait trouver, de manière générale, les règles d'inférence et les schémas d'inférence entrant en ligne de compte ainsi que les thèses (lois) logiques fondant la validité des premières et la condusivité des seconds. En conséquence, la méme recherche hi-Page 254storique s'imposait en un premier temps: vérifier si, parmi les thèses logiques ainsi que parmi les règles d'inférence et les schémas d'inférence correspondants, connus par le passé ou âctuelement, figuraient ou non les thèses, et partant les règles et les sdhèmes, constitutifs de la logique des normes. Vu l'état de mes connaissances dans le domaiae de l'histoire de la logique des normes, à la fin des années quarante et au début des années cinquante, les résultats de ces recherches étaient quasi entièrement négatifs. Ceci s'explique aussi par le fait que la bibliographie du sujet, telle que j'ai pu l'établir, contenait soit des textes qui ne m'étaient pas accessibles en raison des circonstances, soit des textes sans grande importance. C'est seulement beaucoup plus tard, dans les années soixante, que j'ai appris l'existence de certains écrits provenant d'authentiques précurseurs de la logique des normes tels que Alois Hôfler et Ernst Mally et ai pu en prendre connaissance. Et l'ébauche de la logique des normes que contiennent Elementa juris naiuralis de Leibniz ne m'a été signalée par le regretté Robert Blanche qu'en 19715.

M'enquétant cependant partout, j'ai trouvé tout de méme chez Aristote - des syllogismes pratiques et chez les juristes de tous les temps des syllogismes juridiques. En outre, je suis tombé, dans un modeste manuel polonais de logique à l'usage de l'enseignement secondaire, le manuel de Nuckowski que Kotarbinski tenait pour le plus mauvais à sa connaissance, sur une information, pouf moi la plus précieuse de toutes, à savoir que l'obligation, l'interdiction et la permission sont analogues à la nécessité, à l'impossibilité et à la possibilité. Grice à Blanche, j'ai appris ensuite que Leibniz le savait déjà de méme que ceux de qui il le tenait directement ou indirectement si tant est qu'il ne l'ait pas trouvé tout seul' (l'histoire de la logique des normes nous renseignera peutétre un jour làdessus). J'aurais pu en savoir davantage si Nuckowski avait indiqué l'origine de son information (la tenaitil de Hôler qui en parle dans un article écrit en 1885 et publié en 19176, il pouvait la connaître ayant habité la partie de la Pologne occupée, avant la première guerre mondiale, par l'Autriche). Quoi qu'il en soit, cette information était de première importance, car elle menait tout droit à l'idée d'une logique des normes conçue à l'instar de la logique modale. Je ne connaissais pas à l'époque la logique modale de Lewis7, ce qei m'a préservé de m'engager sur la voie suivie au méme moment, à mon insu, par von Wright. Je possédais en revanche une certaine connaissance de la logique modale d'aristote...

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